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Allongement des prêts : un risque pour les accédants modestes

Bernard Vorms, Directeur général de l'ANIL. Éditorial publié dans le tableau de bord de l’ONMI / Observatoire national des marchés de l’immobilier, juin 2007


La France se caractérise par une très faible sinistralité en matière d'emprunt immobilier et les risques de surendettement liés à l'accession semblent aujourd'hui maîtrisés. Mais l'allongement actuel des durées d'endettement est-il de nature à compromettre cette situation ?

Dans tous les pays développés, la part de la dépense de logement dans le budget des ménages est en augmentation continue depuis plusieurs dizaines d'années. L'explication tient à l'amélioration de la qualité des logements, à l'extension de la surface habitable par personne, à la hausse des coûts fonciers liée à la métropolisation et à la concentration de l'habitat, et à la croissance des dépenses de fonctionnement des logements. Mais la très forte progression récente du coût de l'accession n'est pas une simple accélération de ce phénomène. Elle résulte, paradoxalement, de la baisse du coût du crédit à l'habitat. La baisse des taux d'intérêt et leur maintien, depuis 2003, à un niveau très peu élevé, modifie en effet profondément les conditions de l'accession à la propriété.
Dans un premier temps, cette baisse a puissamment amélioré la solvabilité des accédants, accru la demande et induit un ajustement de l'offre : la production de logements neufs a de ce fait retrouvé un niveau qui n'avait pas été atteint depuis les années 1970. Mais son effet a peu à peu été annulé par la hausse des prix qu'elle a provoquée. La réponse a été trouvée par l'accroissement des durées de remboursement, dont l'efficacité est précisément accrue par la baisse des taux. Toutefois cet allongement de la durée de l'effort des ménages, alimentant lui aussi la hausse des prix, est rapidement devenu insuffisant, de sorte que les accédants ont dû consentir des taux d'effort de plus en plus élevés. Le résultat est une augmentation considérable du poids des dépenses de logement dans le budget des ménages. Les accédants d'aujourd'hui acceptent de payer leur logement plus de deux fois plus cher que ceux des années 1990, c'est-à-dire à la fois des mensualités plus élevées et sur une durée de plus en plus longue. Il est manifeste que, malgré un tassement très net, l'appétence pour l'accession n'a pas diminué depuis le milieu des années 1980.
Les motivations demeurent, elles sont peut-être même exacerbées pour certaines d'entre elles : l'inquiétude face à l'avenir, avec notamment les perspectives de diminution du niveau de vie des futurs retraités, incite probablement un nombre croissant de ménages à accentuer leur effort pour se constituer un patrimoine ; en outre, la hausse des loyers conforte le sentiment, largement répandu, qu'il vaut mieux faire un effort pour rembourser un emprunt que de payer un loyer « à fonds perdus ». Le mouvement des prix lui-même a probablement incité certains ménages, anticipant une poursuite voire une accélération de la hausse, à hâter la réalisation de leurs projets.

Cet allongement des durées, qui reflète une évolution de l'attitude des français à l'égard de l'endettement, ne fait que nous rapprocher de la pratique des pays nordiques et anglo-saxons ; cependant, lorsqu'il concerne les accédants modestes, ou pour être précis ceux qui n'ont pas de perspectives d'accroissement de leurs revenus réels, cet allongement pourrait être porteur de risque. L'attention des autorités monétaires se porte logiquement sur les perspectives d'évolution des prix des logements et sur la probabilité de leur baisse plus ou moins brutale (est-on en présence d'une bulle ?). Cependant il faut nous souvenir que les cohortes d'accédants qui se sont trouvées en difficulté dans les années 80 n'ont pas été victimes de la baisse du prix des logements, mais de la difficulté à supporter beaucoup plus longtemps que prévu des taux d'efforts élevés pour faire face à leurs charges de remboursement. Les phénomènes de lassitude ne doivent pas être négligés et c'est un facteur qui ne doit pas échapper à nos observations.

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